à l'attention des KHAGNES :
RAPPORT DE JURY
de l'EPREUVE ECRITE DE CINEMA
au CONCOURS de l'ENS-LSH (session 2012).
Rappel
du sujet : « Que peut le corps au cinéma ? (corps filmé, corps
filmant, corps du spectateur) »
Dans l'ensemble les candidats ont fait preuve d'une bonne
maîtrise de l'exercice. La nature théorique, ou d'inflexion philosophique, du
sujet pouvait laisser craindre – et certaines copies ont commis cette erreur –
que les dissertations deviennent un travail plus philosophique que
cinématographique. Or, majoritairement, et l'on s'en félicite, les candidats
ont développé une véritable réflexion fondée sur le cinéma, qu'ils ont su
articuler avec les concepts réclamés par le sujet. À ces qualités
méthodologiques il faut ajouter la bonne culture générale des copies et une
certaine souplesse dans la relation entre les idées et les exemples. On
rappellera toutefois de bien veiller à construire une réflexion dialectique, progressive,
et qui ne se contente pas de décliner les termes du sujet partie après partie
sans les mettre en rapport, chaque partie devant introduire une hypothèse
concernant le sujet dans sa globalité. Ce défaut s'est retrouvé dans les copies
assez souvent pour que nous le signalions comme un point critique restant à
améliorer. En outre, le traitement d'un sujet, quel qu'il soit, ne saurait être
exhaustif : il faut dès lors adopter un angle sur le sujet que l'on justifie,
et le parcourir ensuite en plusieurs moments qui, chacun, articule les trois
dimensions du sujet. Celui-ci réclamait un examen et une articulation entre le
corps filmé, le corps du spectateur et le corps filmant. Les deux premiers
aspects ont été, avec des bonheurs divers, bien envisagés par les candidats et
assez largement traités, aussi bien dans leur dimension propre (corps de
l'acteur, échelle de plans appliquée à la star, impact du film sur la perception
sensorielle du spectateur, relation entre deux corps par l'intermédiaire d'un
art abstrayant) que dans leurs interactions. En revanche, l'on s'étonne et l'on
regrette qu'une large majorité des candidats aient manqué l'analyse du corps filmant.
De fait, seules quelques copies s'attaquaient à la question de la trace du
corps dans l'acte de filmer, de la perception d'un corps dans les mouvements de
caméra ou le cadrage. Et parmi ces copies, très peu se montrent capables d'articuler
esthétique et technique en réfléchissant sur le rapport entre le
cinéaste-créateur et son cadreur (en particulier dans le cas de la steadycam qui
dessine une chorégraphie physiquement palpable de l'image filmée, ou des
cinéastes qui cadrent eux-mêmes comme Steven Soderbergh, Claude Lelouch,
Patrice Leconte…). Autre lacune technique et esthétique, qui réduisait
l'approche du sujet : le fait qu’on appréhendait le corps assez largement dans
sa dimension visuelle, mais presque jamais – à l’exception d’une copie citant La
Voix humaine de Rossellini – dans sa
dimension sonore. Or l'existence cinématographique du corps et sa perception
reposent tout autant sur la voix, la mise en scène sonore des gestes et des
mouvements, par la palette sonore. Cette lacune majeure reflète d'ailleurs
l’oubli, plus large et récurrent, de la nature sonore et musicale du cinéma,
qui reste toujours le parent pauvre de la réflexion. On attendait aussi des
développements sur les relations entre le corps et les nouvelles technologies,
des caméras numériques qui filment aux effets numériques qui créent des corps
nouveaux. Et là encore, les analyses sur ce point, entre technique et
esthétique, ont donné des résultats trop
limités. La plupart des analyses se sont concentrées sur le réalisme immersif
qui autorise une appréhension juste mais conventionnelle du corps filmé. La relation entre ces trois dimensions du corps se
cristallise dans la question contenue par le sujet : « Que peut le corps ? »
Les meilleures analyses ont exploré les puissances propres et les limites du
corps dans son action sur les autres corps, par rapport à la caméra et dans
l’impact sur le spectateur. C’est cette action, cette dynamique contenues dans
le verbe « pouvoir » qui distinguait le sujet : non seulement les qualités
propres du corps cinématographié, mais ses qualités actualisables (ses
puissances) et leur actualisation dans les formes d’action, le mouvement du
montage et de la caméra et la manière d’influer sur le public – au demeurant
l’aspect le mieux traité. Nous avons apprécié les développements sur le cinéma
pornographique, sur le cinéma d’horreur, mais, outre ces deux extrêmes, nous déplorons
un peu l’absence d’une réflexion plus fine sur la dimension d’expérience
cinématographique. Si l'on doit se féliciter de la maîtrise des références dont
témoignent les copies, et si chaque grande entrée sur le sujet (le corps
classique et la star, le corps moderne et sa résistance aux classifications…)
s'est vue traiter avec les références théoriques et bibliographiques adéquates
(Vincent Amiel, Nicole Brenez, Gilles Deleuze, Raymond Bellour), nous devons
mettre en garde les candidats, comme les années précédentes, sur les
simplifications historiques abusives. Ainsi, la quasi-totalité des analyses sur
le corps des stars, à l'âge classique du cinéma, s'est-elle accompagnée de
considérations extrêmement restrictives, voire inconséquentes, sur l'aspect inaccessible,
désincarné ou privé de sensualité du corps dans le cinéma classique, à
l'exception du burlesque. Si la familiarité des candidats avec la question de
l'animation a permis des développements intéressants sur le rapport entre le cartoon
et le corps classique, l'on doit déplorer l'absence de perspectives sur
l'érotisme, la sensualité, et l'incarnation dans un cinéma classique toujours
aussi méconnu des candidats et réduit à quelques clichés sur la convention, le
conservatisme, la censure : le cinéma classique reste perçu comme une période
monolithique en attente de la modernité, telle que la théorisera la critique
française. Cette modernité étant elle-même souvent appréhendée exclusivement
dans sa dimension franco-française. Comme l’an passé, nous devons hélas
constater que les notions de « modernité », « post-modernité » ou « classicisme
» sont utilisées comme des formules toutes faites, sans être définies ou
creusées… De même, nous constatons que la plupart des réflexions, bloquées dans
l’idée que l’existence filmique du corps commence avec la modernité, se
condamnent à une approche univoque de la notion centrale et se privent de tout
un pan de cinéma qui donnerait souplesse, respiration et variété au propos. De
trop nombreuses fautes d’orthographe et barbarismes diminuent la qualité des copies
et restent inacceptables à ce niveau de formation. Signalons aussi la trop
grande quantité d'erreurs historiques qui trahissent une méconnaissance assez
générale du cinéma avant 1960. Rappelons également qu’il vaut mieux un bon
exemple analysé avec précision qu’une collection d’illustrations d’une idée. De
plus, on encourage les candidats à faire preuve d’une culture plus variée et d’exemples
plus personnels. Si l’on ne peut que saluer l’utilisation des connaissances
développées en cours, regrettons la monotonie de certaines références déclinées
de manière mécanique (Dwoskin utilisé de manière épuisante). En études
cinématographiques comme dans les autres disciplines artistiques, les jurys
d’écrit et d’oral ont pour objectif de recruter de futurs enseignants et/ou
chercheurs informés de la pratique de leur art. Il demeure donc essentiel que
les candidats réfléchissent et mûrissent leur engagement dans une formation
d’excellence aux métiers de l’enseignement et de la recherche.
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